Le Temple de la Littérature
Lundi 4 juin 2012
8h du matin. Je suis ravi de me lever enfin. Nous descendons prendre le petit-déjeuner avant de partir visiter la ville. Un tiers de la population irlandaise se masse sur les rives de la Liffey. Dublin est à priori riche en curiosités, plus que Belfast ou Derry en tout cas. Il ne s'agit que d'un simple constat et non d'une critique de ces deux dernières car, contrairement à ma coéquipière, j'ai préféré les deux cités d'Ulster à taille plus humaine. Alors, pour les premières heures de la journée, c'est elle mon moteur par son enthousiasme parce que je n'attends rien de particulier durant ce laps de temps après une nuit à oublier.
Nous décidons de commencer par le nord pour terminer par ... le sud où l'on piaffe d'impatience de découvrir le livre de Kells et St Stephen's Green. Notre programme nous mène dans un premier temps à la Custom House, ancien bâtiment des douanes à la longue façade en bordure de fleuve. Depuis le City Quay, en face, nous disposons d'une belle vue qui masque les échafaudages et intègre des sculptures de rue. En direction de l'ouest, l'ancien côtoie le moderne : le trois-mâts Jeanie Johnston est amarré non loin d'un bâtiment aux courbes défiant l'équilibre. Enfin, de ce même côté du fleuve, les Famine statues, ensemble de 6 silhouettes allongées - pardon, 7 désormais -, rendent hommage aux Irlandais qui ont fui vers les Etats-Unis au temps de la Famine.
Pendant quelques temps, nous quittons le bord de l'eau pour nous enfoncer au coeur de cette rive septentrionale plutôt austère avec ses façades aux briquettes sombres.
Nous enchaînons avec la principale artère : O'Connell Street, qui commence avec la statue du Grand Libérateur et adepte des grands rassemblements non violents. Tout au long de cet axe, véritable colonne vertébrale de la cité, de hauts et imposants immeubles se dressent à l'image de la Poste Centrale. Nous aurions volontiers jeté un coup d'oeil à l'intérieur mais elle est inexplicablement close. En demandant la raison à un passant, nous apprenons qu'aujourd'hui est un jour férié dans le pays. Voilà pourquoi les rues étaient plutôt désertes depuis ce matin bien que l'on soit lundi. Un peu plus loin, une nouvelle aiguille à tricoter émerge du sol et s'élance à l'assaut du ciel sur 120 mètres : The Spire. Ces Irlandais du Nord ou d'Eire ont vraiment une vénération pour le tricotage ! Est-ce à cause de l'importance de l'industrie textile dans leur Histoire ? L'avenue se termine par une colonne rendant hommage à deux symboles : Parnell, un grand réformateur notamment dans l'agriculture, et Brian Boru, harpe en chêne et bois de saule à 29 cordes portant le nom d'un grand chef celte.
Dans le prolongement de cette artère, la place Parnell est l'antre de la culture avec un théâtre et un musée dédié aux principaux écrivains nationaux. Nous redescendons alors jusqu'au fleuve en passant devant le Smithfield Village, un lieu vibrant normalement au rythme de l'activité de son marché. Mais un jour férié, ça devient plutôt un endroit triste et dépeuplé.
Enjambant la Liffey, nous entrons dans la rive sud et nous rendons d'abord sur des sites religieux. La cathédrale Christchurch se détache la première au sommet d'une butte. A l'instar du Pont des Soupirs vénitien, un couloir en pierre suspendu relie les deux bords de la chaussée. Non loin de là, l'église St Audoen se cache derrière un beau petit jardin fleuri. Sa visite nous permet de découvrir l'activité des corporations par le passé à l'image de celle des fabricants de cire et de bougies. Une chapelle intérieure ainsi qu'une cour à arcades viennent s'y ajouter.
En quittant les lieux, Laëtitia qui doutait tant de son anglais le premier jour, s'élance seule dans des explications au sujet de notre parcours en Irlande. Elle s'enthousiasme de désormais comprendre quasiment tout. Beau gain de confiance en toi en une poignée de jours, tu n'aurais jamais dû douter.
L'édifice suivant est le château dont l'architecture est très particulière dans le sens où elle mélange les styles, les couleurs et les époques sans complexe. Un petit tour dans ses jardins puis dans sa cour intérieure nous donne déjà un large aperçu de cet éclectisme.
Une nouvelle traversée de Temple Bar fait office de trait d'union entre deux sites culturels : l'occasion de se photographier devant quelques devantures de pubs originales ou de s'imaginer sous les cocotiers.
Ne nous reste plus que le meilleur pour la fin : la visite du Trinity College et de son livre de Kells (photos interdites). Le premier est un campus très étendu de la capitale irlandaise, université aux origines plusieurs fois centenaires. Il renferme une perle : l'Old Library, une bibliothèque hors du commun aujourd'hui partiellement convertie en musée. Nous avions décidé de longue date de ne visiter qu'un seul musée à Dublin : c'était sans hésiter celui-là. Le site va nous donner amplement raison. Le rez-de-chaussée est consacré au livre de Kells, un manuscrit enluminé remontant au Moyen-Age et relatant les Evangiles. Son histoire est liée à la fuite de moines face aux incursions viking. 4 pages sont exposées à l'abri derrière des vitrines : deux d'enluminures ultra-détaillées et incroyablement fines et deux d'illustrations tout aussi minutieusement dessinées. Un travail de titan qui a dû requérir des mois et des mois de patience et d'efforts. Il y a de quoi être ébahi. Je n'ai vu qu'un seul autre ouvrage comparable à ce jour : le Coran d'Osman à Tachkent, en Ouzbékistan. Mais la Vieille Bibliothèque se démarque par son étage qui abrite la Long Room, une pièce de 65 mètres de long sur 10 mètres de large, abritant 200 000 ouvrages en 22 langues. Une telle diversité la rend égale à la bibliothèque nationale d'Autriche à Vienne tout aussi gigantesque et somptueuse. Alors, précisons pour faire la différence que Trinity College héberge en un seul site géographique -ce campus- 4 millions d'ouvrages et -détail encore plus impressionnant- un exemplaire de chaque livre imprimé dans les Iles Britanniques depuis 1801 ! Si vous permettez je crois que je vais aller m'asseoir quelques instants... Enfin, cerise sur ce gâteau culturel : la harpe Brian Boru, symbole national figurant sur les euro locaux, est conservée ici. En regagnant l'extérieur, il y a peu de mots pour qualifier un tel endroit : une corne d'abondance littéraire ?
Nous errons quelques temps au milieu d'une foule particulièrement dense dans une grosse rue commerçante. Plus nous progressons vers St Stephen's Green, plus la concentration est importante et beaucoup de filles et de femmes portent un dossard et un T-shirt pour une organisation caritative. Devinez quoi ? Le départ va être donné à côté de St Stephen's Green vers 14h soit dans moins d'une heure. Notre pique-nique tranquille de clôture du voyage dans ce jardin calme n'est plus qu'une chimère. Nous décidons d'un commun accord de pousser toujours plus au sud et trouvons refuge dans Iveagh Gardens. La densité y est déjà plus supportable. Nous prenons place au pied d'une cascade et déballons notre pique-nique tout en profitant des bienfaits d'un soleil totalement retrouvé. Pour nous narguer, la cascade finit par être coupée mais cela ne nous empêche pas de profiter d'une dernière pause au calme comme à quelques reprises tout au long du parcours.
Après avoir tourné les dernières scènes de notre film de voyage, nous quittons à regret la verte pelouse pour le bitume gris. Un bus nous attend pour nous emmener à l'aéroport. Son chauffeur n'est pas particulièrement aimable car nous éprouvons des difficultés à comprendre qu'il ne veut que l'appoint, pas plus. Il s'énerve. Plus loin, il laissera plusieurs passagers en plan au bord de leur arrêt d'autobus. Etrange ? De notre côté, Laëtitia qui parlait depuis notre premier jour de bus à étage, a enfin l'opportunité non seulement d'en prendre un mais également d'être contre la vitre, en haut. Nous sommes aux premières loges pour voir défiler la ville et ses faubourgs.
L'aéroport se présente après une petite heure. La boucle est bouclée. Un séjour assurément grandiose. Cette fois-ci l'avion nous amène à Charles de Gaulle où la mère de Laëtitia a la gentillesse de nous attendre qui plus est avec le complément de notre pique-nique. Merci beaucoup de cet accueil et pour le retour agréable et reposant ! J'avais précisé à l'aller à ma coéquipière que soit elle était satisfaite et me ramenait chez moi, soit elle ne l'était pas et me laissait en bordure d'autoroute. A priori, elle est satisfaite car je suis arrivé à bon port, conduit chez moi comme un pacha. Que demander de plus ?