Randonnée équestre sur le littoral
Dimanche 3 juin 2012
La nuit durant, la pluie est venue frapper le velux sans discontinuer. En se réveillant ce matin, la situation perdure. Par conséquent, pour ne pas déranger la maisonnée et parce qu'il n'y a, du coup, aucun intérêt à aller se promener sur la Sky Road à vélo, je reste au lit jusqu'à 8h30. En cette année de Jeux Olympiques, je pulvérise ainsi ma meilleure performance 2012.
Pour le petit-déjeuner, Charles et Frédérique ont préparé une assiette copieuse, l'Irish breakfast : saucisses, pouding blanc, pouding noir, champignons, bacon, tomates, petit flan de légumes et s'il reste encore un coin une coupelle de fruits. Un ouragan pourrait me passer dessus qu'il ne me déboulonnerait pas du sol mais il faut souligner que c'était bien bon.
A 9h30, Frédérique nous embarque à bord de sa voiture avec nos bagages. Elle accepte d'effectuer le tour de la presqu'île sur la Sky Road, circuit que nous aurions dû accomplir à vélo si le temps avait été plus clément. Mais une Irlande sans pluie, personne ne nous aurait crus. Le paysage est le même que décrit hier en arrivant : terre, mer et îles s'entrelacent subtilement dans un décor enchanteur où la grisaille menaçante du ciel met en évidence les différentes teintes de vert du sol. C'est sur cette palette de couleurs toujours changeante qu'insiste notre hôte pour qualifier un cadre en mouvement perpétuel. Pour elle comme pour son mari, chaque jour est différent et apporte un nouveau détail de ce décor encore insoupçonné la veille.
Après ce petit détour, le véhicule file sur Cleggan, empruntant une route toujours aussi bosselée. Nous avons rendez-vous au centre équestre pour une balade de 3h sur le littoral. Arrivés un peu en avance, nous sommes invités à patienter quelques minutes, le temps pour nous de cheminer jusqu'au port. C'est ce qu'on appelle "se faire envoyer promener" mais nous n'y voyons pas d'inconvénient car nous avons évité une marche épuisante.
Il reste un dernier "détail" à régler : comment réaliser les 14km retour sachant que, si personne ne nous ramène, c'est une nouvelle course contre-la-montre qui s'engagera ? Notre hôte, déjà serviable, ne peut bloquer sa journée pour nous et le centre équestre ne possède pas de voiture. Une première cliente, Américaine, se présente pour s'acquitter des formalités en même temps que nous. Nous lui exposons notre problème et elle est très compréhensive mais elle ne pourra emmener qu'une seule personne. On va croiser les doigts pour trouver l'autre moitié de la solution. En équitation, elle a un lourd passé derrière elle y compris du saut d'obstacles quand Laëtitia et moi n'avons que peu d'expérience. Un peu plus tard débarque un jeune couple de londoniens dans une petite voiture. Fortune ou désespoir ? Après avoir fait brièvement connaissance avec eux, nous leur présentons à nouveau la situation qui est la nôtre. Jo et Tom acceptent d'emblée de nous prendre tous les deux et de nous amener à destination. Notre étoile doit vraiment être la plus bienveillante du firmament !
Autre confirmation : nous sommes les plus inexpérimentés de la troupe donc nous risquons de ralentir les autres. Après avoir reçu notre équipement au sujet duquel les plus connaisseurs s'exclament avec raison "c'est de la bombe !", nous découvrons nos montures : Minnie pour Laëtitia et Popeye pour moi. Concernant ma coéquipière, je soulignerai qu'être poursuivie par Disney même à moins de 4800 mètres d'altitude, ça doit bien avoir un sens caché. Quant à moi, j'ai le droit au changement habituel de cheval après un tour de manège et hérite de Barney. Ce sont de grands et hauts chevaux aux pattes poilues.
Nous reprenons nos tours de manège alternant pas et trot. Lorsqu'il semble à l'équipe que les marques sont prises, le signal du départ de la balade est donné. Les jockeys sont sous les ordres ! GOOOO !!!! Nous sommes encadrés à l'avant par Judy et derrière par Amélie, jeune française arrivée la veille pour un stage d'études de 2,5 mois. Après quelques pas sur le bitume, nous virons à gauche sur un chemin pierreux encadré de hauts buissons, puis atteignons des prés où paissent moutons et chevaux. Non loin de là un lac agrémente le paysage. Nous retrouvons le bitume au fur et à mesure que nous nous rapprochons du littoral.
Jusqu'à présent, ma coéquipière et moi ne parvenons pas à suivre le rythme, même si nous trottons de temps en temps. Nous fermons ainsi la marche. Parvenus à la plage, il est décidé que nous restons en compagnie de Judy quand les autres s'élancent dans quelques cavalcades répétées. Tant mieux, au moins chacun se fait plaisir et nous ne pénalisons pas les autres. Un court instant, nos montures entrent dans la mer.
Puis, nous empruntons un petit chemin bordé de murets en pierre sous l'oeil envieux de deux autres chevaux.
Derniers instants sur la plage. Alors que les anglophones du groupe effectuent encore quelques galops, nous immortalisons nos vacances à la plage. Ca a quand même plus de standing que d'exposer son corps pâle à l'astre solaire qui a de toute façon posé une autre RTT aujourd'hui. En plus, après 2 heures de promenade, nous paraissons sûrement ne plus faire qu'un avec nos montures tels des centaures mi-humains, mi-chevaux. Vous croyez que j'exagère ?
Je ne suis pas le seul à percevoir cette métamorphose, ce gain d'assurance particulièrement visible chez Laëtitia pour sa seconde chevauchée seulement. Il est donc décidé par le staff que Minnie soit encordée au cheval d'Amélie pour éviter que ne commence une démonstration.
Le retour se passe sans encombre jusqu'à ce que ... le spectacle débute. Et les trois coups de bâton alors ? J'ai lu des livres sur les Cosaques, cavaliers émérites des plaines ukrainiennes et du Don; j'ai visité les pays des hommes-chevaux en Mongolie et en Kirghizie, tribus qui, sous Gengis Khan, conquirent le monde en vivant en permanence à cheval et qui, aujourd'hui encore, font preuve d'une dextérité incroyable; j'ai entendu parler des spectacles équestres tels Zingaro ou Equestria voire des écuries les plus prestigieuses comme le Cadre Noir de Saumur ou l'Ecole Espagnole de Vienne; mais la performance de Laëtitia, ça, je n'y avais encore jamais assisté et n'aurais pu imaginer une telle audace ! De la haute voltige ! Quand je parlais de centaure ... A côté je peux me rhabiller avec mon piètre tour de manège kirghize ou mon rodéo équatorien.
En effet, en me retournant, je la surprends sur le flanc droit de Minnie, parallèlement au sol. Mon esprit éclairé ne peut que constater subtilement qu'il y a quelque chose d'anormal dans cette imitation du style cosaque. Mais quoi ? Argh ... dur à dire ... elle a changé de coiffure ? ... Non apparemment pas. Peut-être est-elle plus pâle ? Oui, un peu. Serait-elle malade ? ... AHHH, NOOON ! J'ai trouvé !!! Elle a changé de chaussures et c'est pour me les faire admirer que sa selle est sur le flanc de son cheval et que son pied est, dans l'étrier, là où un piètre cavalier comme moi positionne son corps : au-dessus du cheval. Chapeau ! Quelle maîtrise ! Et je suis fier d'avoir trouvé ce détail qu'elle a changé. Tout seul en plus !
Je n'ai pas pris de photo pour que des enfants qui verraient ce blog ne reproduisent pas cette cascade périlleuse à la maison. Mais au fait, elle n'est pas cascadeuse en temps normal ??? ... Alors, c'est qu'elle doit se CASSER LA FIGURE !!! En moins de 2 secondes, je ravale ma fierté et commence à paniquer parce que je me sens un peu responsable vu que c'est moi qui l'ai entraîné dans ce voyage en solo sans filet. Ca serait quand même bête de rentrer avec un plâtre pour une première. J'avertis Amélie qui est totalement dépassée voire tétanisée. Faute de pouvoir sauter à terre pour l'aider, je fais avancer Barney de quelques mètres et crie à Judy qu'il y a besoin d'aide derrière. Pendant ce temps-là, la figure se poursuit sans que je la suive. Sans aide, Laëtitia cherche à chuter légèrement. Minnie doit également sentir un déséquilibre et se déporte vers les buissons. Ma coéquipière achève sa cascade dans le bosquet en douceur mais bien griffée. Honnêtement, personne ne s'attendait à cette fin. Normalement, le cavalier n'est pas censé revenir à l'équilibre ? Heureusement tout semble aller bien : rien de cassé pour Laëtitia et je peux rentrer en France sans avoir à me terrer devant des parents demandant à raison des comptes.
Si tu aimes tant les arbres, dis-le-moi la prochaine fois et je t'amènerai en forêt pour un accrobranche plutôt qu'à la plage. 
Bilan : nous aurons tous fait trois heures de cheval sauf ma coéquipière qui ne se sera contentée que de 2h59. Point positif : malgré les sensations fortes, elle remonte de suite sur le cheval pour ne pas garder d'appréhension. Un tempérament de championne !
Derniers instants avec nos montures respectives que l'on ne manque quand même pas de remercier. Après tout ce sont elles qui ont travaillé depuis ce matin.
Comme convenu avant la balade, Jo et Tom ont l'extrême gentillesse de nous conduire à Clifden. Saviez-vous que l'on peut faire rentrer dans une petite voiture de location 4 personnes, 4 gros sacs et une planche de surf ? Ca rappelle les jours où on s'entasse dans le métro mais en plus sympathique parce que nos chauffeurs sont bien plus souriants et agréables. Nous leur conseillons d'aller à Roundstone et d'accomplir la même boucle que nous hier. Une nouvelle fois, la dernière, la chance nous aura souri et aura mis sur notre route des personnes au grand coeur. Je dis "dernière" car, à présent que tout est sûr, je peux affirmer avec assurance que nous avons triomphé de toutes les embûches qui se sont présentées (enfin sauf un buisson mais ça ne compte pas).
En attendant le bus de 15h15, nous pique-niquons sur la place principale "comme des clochards" dira poétiquement une compagnonne de voyage dont je ne citerai pas le nom. J'avoue ne pas partager à 100% le même avis. Devant nous, l'arrivée d'une course à pied. A chaque franchissement de la ligne finale, le speaker crie "Hey, Hey, WEYYYY !!!" suivi parfois par un "Weldom". Pardon "Well done"... Un lapsus probablement. En attendant, j'en connais une qui n'aurait pas fait pâle figure dans cette compétition. "Hey, Hey, WEYYYY !!!".
Sur ce, nous prenons la direction de Galway. Adieu Connemara. Merci pour ces deux jours de découverte de tes magnifiques paysages sauvages à travers des activités sportives fort attendues et intenses en émotions. Ni la pluie, ni le vent que tu nous as parfois opposés n'auront pu réfréner notre ardeur ni notre progression.
A Galway, nous profitons d'une pause de 30 minutes pour nous changer après le cheval sans quoi l'odeur risquait de nous laisser de la place dans le bus pour Dublin. Le parcours n'a pas grand intérêt car nous progressons sur une autoroute entourée de champs, de prairies ou d'arbres. 2h30 d'un trajet monotone qui permet de se remémorer des instants-clés du voyage : toutes ces contrées parcourues, ces aventures vécues, ces rencontres touchantes, notre chance inouïe pour que tout aille toujours pour le mieux ...
Dublin va être une sacrée douche froide me concernant. Terminer par une ville a la plupart du temps été une épreuve et je ne dois plus ma motivation pour être franc qu'à la perspective d'un dernier pique-nique dans un parc demain. Peu après être arrivés à destination, nous découvrons l'erreur de ce voyage voire de mes voyages. Une auberge de type "backpackers". Le budget y est en général modéré et la réputation pas terrible. En poussant la porte d'entrée, un groupe de jeunes filles que nous qualifierons par politesse de déjantées me laisse une première impression amère mais c'est encore le paradis à côté de ce qui suit. La chambre dont nous héritons est à mi-chemin entre le foyer pour alcooliques chroniques et le lupanar le plus miteux de la planète. La faune qui le peuple est en état d'ébriété avancé et tous ne logent même pas là. Je suis mal d'avoir emmené Laëtitia dans un tel traquenard. Pour reprendre provisoirement nos esprits, nous descendons diner. Je garde à nouveau les biens, Laëtitia s'occupe une nouvelle fois de la cuisine puis je finis par la vaisselle.
Nous sortons dans la foulée dans les pubs de Temple Bar, le quartier animé juste derrière l'auberge, pour écouter de la musique traditionnelle. Le 1er pub, coup de coeur de ma coéquipière, est minuscule et bondé. Ne pouvant s'asseoir et écouter la musique, nous sommes amenés à le quitter.
Un office du tourisme nous guide vers d'autres pubs du quartier, lieu de perdition parcouru par des zombis aux yeux hagards. Les deux bars suivants sont pleins à craquer et ne proposent pas le style de musique que l'on recherche pour cette dernière soirée. Alors on s'oriente vers un quatrième que l'on a repéré en venant de l'office du tourisme. Un guitariste y officie et on peut s'entendre parler ... ça permet de passer une bonne dernière soirée en revenant sur le Connemara notamment. Peu avant 23h, il faut y mettre fin parce que la menace de se transformer en quelque chose d'indésirable (citrouille, korrigane ...) plane. Ca serait dommage ...
Comme "the show must go on", nous avons la désagréable surprise d'entrer dans la chambre lors d'une fête spéciale. Alors que Laëtitia prend sa douche, je n'ai plus des hommes devant moi mais des bêtes. Et quand on inverse les rôles, de pauvres hères ont l'idée d'éteindre la lumière. Ma coéquipière malgré ses efforts répétés (merci !) ne parviendra pas à la rallumer face à l'hostilité de certains. La chambre se vide pour aller refaire le plein du réservoir. De mon côté, c'en est déjà trop et j'éprouve un mélange de colère froide, de peur d'être agressé ou dépouillé pendant la nuit et une culpabilité énorme envers Laëtitia. Je descends voir le réceptionniste pour lui parler de la situation. Il joue les naïfs mais cherche quand même une autre chambre comme je l'exige. L'auberge est malheureusement complète, il ne reste qu'une seule place de libre. Lueur d'espoir pour au moins sortir ma coéquipière de là mais rien ne garantit qu'elle ne sera pas la seule fille. Je renonce à trouver une solution même s'il m'assure qu'il va demander aux zozos de mettre la sourdine à leur retour. Réponse futile car il était quasi assuré que ça les exciterait encore plus. Nous nous couchons mais je suis décidé à ne pas fermer l'oeil ne serait-ce qu'au cas où. Nos affaires sont cadenassées dans mon sac d'aéroport. Une très longue nuit s'amorce, ponctuée par quatre vagues de retour de barbares saouls au comportement bestial. Pour rendre plus agréables ces instants, je me réfugie dans une bulle où je reparcours tous les lieux de notre périple dans le moindre détail tout en restant sur mes gardes en cas de nécessité. Dublin, ma nouvelle ville préférée ...